Un appel du mouvement contre la disparition du point-virgule
Par Guillemette Faure (Rue89) 11H55 24/03/2008
Le point-virgule est en danger. Il a disparu des journaux. Il se fait rare dans les romans. Même le comité de défense du point-virgule
est maintenant introuvable sur la toile. « Il a lui-même disparu corps
et biens, ce qui n’est pas bon signe », nous dit Sylvie Prioul, auteure
de La Ponctuation ou l'art d'accommoder les textes, appelée à la rescousse.
Son diagnostic : l’absence de « ; » est, à Rue89 comme dans le reste
de la presse, la terrible conséquence du raccourcissement des phrases,
recommandé dans les rédactions. « La phrase courte signe l’arrêt du
mort du point virgule », résume Sylvie Prioul qui voit se répandre une
« ponctuation efficace » à son détriment.
Plus grave, le point-virgule intimide. « Les gens ne savent souvent
pas l’utiliser. Il est un peu hybride entre le point et la virgule.
Parfois plus près de la virgule. C’est qu’on appelait la virgule forte
au XVIIIe siècle. Parfois il est plus proche du point et on le met
quand on change d’idée. »
(Rappel
pour les handicapés de la ponctuation : le point-virgule s’utilise avec
deux membres distincts qu’on veut mettre en opposition ou en parallèle.)
D’aucuns, à Rue89, se sont demandés si d’autres signes de ponctuation pourraient prendre sa place. Un retour du point d’ironie par exemple ? Sylvie Prioul est sceptique. « Il y a eu quelques essais dans les années 1960. L’interrobang
venu des Etats-Unis et supposé exprimer l’étonnement et
l’interrogation. Ca n’a pas pris. » Pas plus de succès pour les
tentatives de point d’amour et de point d’acclamation poussées par
Hervé Bazin dans son livre Plumons l'oiseau en 1966.
Alors, où trouver les derniers points-virgules vivants ? Dans la
presse. Sylvie Prioul, qui a passé en revue un numéro entier de
L’Humanité pour n’en trouver qu’un (perdu dans un édito), conseille de
fouiller les pages d’analyses des quotidiens. « Ce qui fait survivre le
point virgule, ce sont les tribunes, les pages rebonds, ce qui est un
peu long. »
Une larme de binette
Et en littérature ? Peut-on encore espérer en croiser quand Annie
Ernaux dans son dernier bouquin balance des souvenirs sur des pages
sans majuscules ni points ?
On rencontrera le point-virgule avec
plus de chance chez les auteurs du XIXe siècle – Victor Hugo,
Flaubert – qui en sèment à longueur de pages. Plus récemment,
Houellebecq l’utilise en toute simplicité. « Il n’arrivait plus à se
souvenir de sa dernière érection ; il attendait l’orage. »
Faute de mieux, restera toujours le Journal Officiel qui en utilise
à foison pour ses énumérations. Autre utilisation technique de la
ponctuation, les programmeurs informatiques en utilisent aussi à loisir
pour les séparations. Dernière étape avant qu'il ne soit plus qu'une
larme de binette.
On en a profité pour demander à Sylvie Prioul d’inspecter nos
allées. Comme beaucoup de sites, à l'écouter, Rue89 malmène la
typographie. « Les guillemets français ont disparu et sont remplacés
par des horribles guillemets machine. » Adieu les espaces
avant les points d’interrogation et d’exclamation. « Toutes les
ponctuations qui doivent être séparées sont collées à
l’anglo-saxonne. » On n’a guère le choix, en raison de la difficulté de
créer des espaces insécables, les signes de ponctuation pourraient se
retrouver seuls à la ligne. « Ça me choque moins, une ponctuation
collée qu’une ponctuation qui se promène. » Avec l'aide des maniaques
de l'équipe, nous avons tenté de rendre cet article conforme au code
typographique.
Puis s’ajoute la créativité des internautes qui, dans leurs
commentaires, peuvent avoir la main lourde en points d’exclamation et
de suspension. « Ils adorent les points d’exclamation pour montrer leur
enthousiasme ou leur désespoir », nous dit encore Sylvie Prioul.
N'hésitez pas à nous envoyer vos plus beaux points-virgules.