Les secondes frappés m'ont tuée hier, comme d'hab'. Je les trouve très vulgaires, mais ils ne comprennent pas où est le problème.
Nous étudiions (le mot est ambitieux pour ce que j'ai fait durant ce cours) une nouvelle qui marche bien d'habitude : "Quand Angèle fut seule" de Pascal Mérigeau.
Voici le texte :
"Bien sûr, tout n'avait pas toujours marché comme elle l'aurait souhaité pendant toutes ces années ; mais tout de même, cela lui faisait drôle de se retrouver seule, assise à la grande table en bois. On lui avait pourtant souvent dit que c'était là le moment le plus pénible, le retour du cimetière. Tout s'était bien passé, tout se passe toujours bien d'ailleurs. L'église était pleine. Au cimetière, il lui avait fallu se faire embrasser par tout le village. Jusqu'à la vieille Thibault qui était là, elle qu'on n'avait pas vue depuis un an au moins. Depuis l'enterrement d'Émilie Martin en fait. Et encore, y était-elle seulement, à l'enterrement d'Émilie Martin ? Impossible de se souvenir. Par contre, Angèle aurait sans doute pu citer le nom de tous ceux qui étaient là aujourd'hui. André, par exemple, qui lui faisait tourner la tête, au bal, il y a bien quarante ans de cela. C'était avant que n'arrive Baptiste. Baptiste et ses yeux bleus, Baptiste et ses chemises à fleurs. Baptiste et sa vieille bouffarde qu'il disait tenir de son père qui lui-même...
En fait ce qui lui avait déplu aujourd'hui, ç'avait été de tomber nez à nez avec Germaine Richard, à la sortie du cimetière. Celle-là, à soixante ans passés, elle avait toujours l'air d'une catin. Qu'elle était d'ailleurs.
Angèle se leva. Tout cela était bien fini maintenant. II fallait que la mort quitte la maison. Les bougies tout d'abord. Et puis les chaises, serrées en rang d'oignon le long du lit. Ensuite, le balai. Un coup d'oeil au jardin en passant. Non, décidément: il n'était plus là, penché sur ses semis, essayant pour la troisième fois de la journée de voir si les radis venaient bien. II n'était pas non plus là-bas, sous les saules. Ni même sous le pommier, emplissant un panier. Vraiment, tout s'était passé très vite, depuis le jour où en se réveillant, il lui avait dit que son ulcère recommençait à le taquiner. II y était pourtant habitué, depuis le temps. Tout de même, il avait bientôt fallu faire venir le médecin. Mais celui-là, il le connaissait trop bien pour s'inquiéter vraiment. D'ailleurs, Baptiste se sentait déjà un peu mieux... Trois semaines plus tard, il faisait jurer à Angèle qu'elle ne les laisserait pas l'emmener à l'hôpital. Le médecin était revenu. II ne comprenait pas. Rien à faire, Baptiste, tordu de douleur sur son lit, soutenait qu'il allait mieux, que demain, sans doute, tout cela serait déjà oublié. Mais, quand il était seul avec elle, il lui
disait qu'il ne voulait par mourir à l'hôpital. II savait que c'était la fin, il avait fait son temps. La preuve, d'autres, plus jeunes, étaient partis avant lui:.. II aurait seulement bien voulu tenir jusqu'à la Saint-Jean. Mais cela, il ne le disait pas. Angèle le savait, et cela lui suffisait. La Saint-Jean il ne l'avait pas vue cette année. Le curé était arrivé au soir, Baptiste était mort au petit jour. Le mal qui lui sciait le corps en deux avait triomphé. C'était normal.
Angèle ne l'avait pas entendue arriver. Cécile, après s'être changée, était venue voir si elle n'avait besoin de rien. De quoi aurait-elle pu avoir besoin ? Angèle la fit asseoir. Elles parlèrent. Enfin, Cécile parla.De l'enterrement bien sûr, des larmes de quelques-uns, du chagrin de tous. Angèle l'entendait à peine.
Baptiste et elle n'étaient jmais sortis de Sainte-Croix, et elle le regrettait un peu. Elle aurait surtout bien aimé aller à Lourdes. Elle avait dû se contenter de processions télévisées.
Elle l'avait aimé son Baptiste, dès le début, ou presque. Pendant les premières années de leur mariage, elle l'accompagnait aux champs pour lui donner la main. Mais depuis bien longtemps, elle n'en avait plus la force. Alors elle l'attendait, veillant à ce que le café soit toujours chaud, sans jamais être bouillant. Elle avait appris à le surveiller du coin de l'oeil, levant à peine le nez de son ouvrage. Et puis, pas besoin de montre. Elle savait quand il lui fallait aller nourrir les volailles, préparer le dîner. Elle savait quand Baptiste rentrait. Souvent Cécile venait lui tenir compagnie. Elle apportait sa couture, et en même temps les dernières nouvelles du village. C'est ainsi qu'un jour elle lui dit, sur le ton de la conversation bien sûr, qu'il lui semblait avoir aperçu Baptiste discutant avec Germaine Richard, près de la vigne.
Plusieurs fois au cours des mois qui suivirent, Cécile fit quelques autres discrètes allusions. Puis elle n'en parla plus. Mais alors, Angèle savait. Elle ne disait rien. Peu à peu, elle s'était habituée. Sans même avoir eu à y réfléchir, elle avait décidé de ne jamais en parler à Baptiste, ni à personne. C'était sa dignité. Cela avait duré jusqu'à ce que Baptiste tombe malade pour ne
plus jamais se relever. Cela avait duré près de vingt ans. Son seul regret, disait-elle parfois, était de n'avoir pas eu d'enfants. Elle ne mentait pas. Encore une raison de détester la Germaine Richard d'ailleurs, car elle, elle avait un fils, né peu de temps après la mort de son père, Edmond. Richard, un colosse aux yeux et aux cheveux noirs avait été emporté en quelques semaines par un mal terrible, dont personne n'avait jamais rien su. Le fils Richard, on ne le connaissait pas à Sainte-Croix. II avait été élevé par une tante, à Angers. Un jour cependant, c'était juste avant que Baptiste ne tombe malade, il était venu voir sa mère. Cécile était là, bien sûr, puisque Cécile est toujours là où il se passe quelque chose. Elle lui avait trouvé un air niais, avec ses grands yeux bleus délavés. Angèle en avait semblé toute retournée.
Cécile était partie maintenant. La nuit était tombée. Angèle fit un peu de vaisselle. Elle lava quelques tasses, puis la vieille cafetière blanche, maintenant inutile, puisque Angèle ne buvait jamais de café. Elle la rangea tout en haut du bahut. Sous l'évier, elle prit quelques vieux pots à confiture vides. A quoi bon faire des confitures, elle en avait un plein buffet. Elle prit également quelques torchons, un paquet de mort-aux-rats aux trois-quarts vide, et s'en alla mettre le tout aux ordures. Il y avait bien vingt ans qu'on n'avait pas vu un rat dans la maison."
Quand j'ai demandé, par exemple, ce que l'on pouvait supposer à propos de la mort suspecte du mari de Germaine, Edmond, j'ai eu droit à : "Sa femme elle avait le sida et elle lui a refilé !" ou encore "Il fumait la pipe donc il a eu un cancer" (erreur sur le personnage, en plus).
Quant à la vraie raison de l'assassinat, ce fameux enfant qu'Angèle n'a pas eu, le pire a été un truc du genre : "C'est de sa faute !" en parlant de la femme. Celui qui m'a dit ça avec l'air benêt et convaincu (il l'a répété plusieurs fois malgré mes remarques) ne comprenait pas que je sois choquée par ses propos d'adolescent du XXIème siècle au style médiéval...
Ensuite, il y a eu l'avalanche de propos sexistes (le sexe faible, tout ça) mais c'est moi qui étais méchante et injuste avec les hommes, selon eux.
Une fois le dos tourné au tableau pour écrire trois mots en guise de réponse à la question, j'ai entendu un sonore "Ta mère la pute !" qui ponctuait un de leurs dialogues...
Bref, j'étais dans un monde absurde. Et j'ai toujours 2 textes de retard avec eux par rapport à l'autre classe de seconde : impossible d'avancer.
En plus de cela, j'avais deux paquets de copies à leur rendre. J'avais prévu 7mn pour le faire, ce qui est largement suffisant. Mais non. Un seul a été distribué sur les deux.
C'est long, 7 minutes entières pour donner 32 copies. Long.
Après cela, bizarrement, j'ai ressenti une douleur au niveau du crâne : une énième migraine.
Heureusement, dehors, le spectacle automnal m'a quelque peu apaisée...