J'ai réussi à négocier ma matinée de demain ainsi que jeudi après-midi pour l'enterrement et pour m'occuper respectivement de ma mère et de ma grand-mère.

Je pourrai aussi tâcher de corriger les quatre paquets de copies faramineux et horribles qui m'attendent. Je dois remplir les derniers bulletins vendredi.

Je ne sais toujours pas si je suis de correction ou de surveillance pour le Brevet car le Principal "a égaré les convocations dans un coin de son bureau"... No comment.

Sur 27 élèves de 3ème, 13 passent en Seconde. Sur ces treize-là, j'en donne 9 dans le mur l'an prochain. Ils vont s'effondrer.

J'ai toujours une amertume dans la bouche et une certaine tristesse dépressive à la sortie de ces conseils déterminants : j'ai peur pour mes élèves.

Ce matin, mes cours étaient annulés car j'étais désignée volontaire pour participer à la suite du débat sur la liaison 3ème/2de. Tout cela est très utopique : comment parvenir à harmoniser un discours et des attentes entre profs de collège et de lycée ?

D'ailleurs, et j'ai adoré, une collègue du lycée de mon groupe scolaire a découvert que j'enseignais dans le même établissement qu'elle. Le 1er juin, je trouve ça limite.

Bref, la seule chose qui me réjouissait, c'est que mon inspectrice devait animer cette réunion. Je m'étais dit qu'en l'écoutant pendant trois heures, j'en aurai pour deux ans de réflexion. Manque de bol, elle a eu un empêchement de dernière minute, et a été remplacée par un prof du lycée de ma ville.

Du coup, j'en pu lui demander si Mme B. était toujours là-bas. Car c'est en partie grâce à elle que je suis devenue enseignante. C'était une sorte de mère spirituelle, et une amie très proche. Mais...

Eclat de rire de ma part à la cantine :

Ségolène de L. vicomtesse de son état, collègue de Lettres, nous parle de ses projets de we :

_ Ce week-end, avec mon mari, nous sommes invités à fêter les cent ans de son grand-père, en Vendée.

_ Oh, cent ans !

_ Le bel âge ! C'est sûr, ça se fête.

Et Ségolène de répondre :

_ Oui, surtout qu'il est mort à soixante ans d'un crise cardiaque...

Je n'en pouvais plus ! Il faut quand même savoir que cette collègue, ainsi que son mari, vouvoient leurs parents; vivent dans un monde surréaliste, et que leurs familles regrettent l'avant... 1789.

Et que cette commémoration sera très solennelle afin que les "pièces rapportées" (gendres, etc hors famille d'origine) découvrent où ils sont tombés : discours officiel, visite du mausolée familial, messe...

Incroyable mais vrai.

Aujourd'hui, pendant que "mes anges" étaient en contrôle, j'ai corrigé une série de copies censées être axées sur l'argumentation. Une catastrophe. Mes 3èmes accomplissent l'exploit de régresser depuis le début de l'année.

J'y ai récolté une série de perles, que je mettrai en ligne ce week-end. Je préfère en rire, qu'en pleurer.

Surtout que dimanche je serai de D2 du côté de Chartres toute la journée (ah, le vent de la Bauce pour les flèches !), et la veille au soir à une fête africaine. En plus, j'ai aussi l'intention de voir des amies et de faire des expos...

Ahlala, quelle vie de femme active !

Bon, allez, le premier paquet de copies m'attend : interro sur l'imparfait et le passé simple. L'extase, avec tous les barbarismes qu'ils m'inventent.

Sans vouloir être démago, je pense qu'ils auront tous des bonbons ou quelque chose dans ce goût-là à la rentrée...

Faut leur dire de temps en temps qu'ils font des choses bien. Positivons !

Que dire en dehors de : YOUPIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII !!!!! Je fais maintenant partie officiellement de la grande famille de l'Education Nationale, et pas qu'un peu !

L'inspectrice a été dithyrambique à mon égard (je vous épargne les détails mais retenons par exemple qu'elle veut et me donne quasiment l'ordre de passer l'Agrégation...), et m'a surtout rassurée à l'égard de ma pédagogie : je buvais ses paroles, tant elles correspondaient à mes idéaux.

Enfin, enfin, entendre un discours riche, ouvert, tolérant, passionné (j'ai rarement vu quelqu'un d'aussi bon à l'oral qu'elle et d'aussi cultivé, et pourtant j'en ai croisé pas mal...) ! Dieu que cela fait du bien...(Non, non, je ne remercie pas Benoît XVI, là).

Oui, nous incarnons les valeurs républicaines, la liberté acquise et conquise par les mots; oui, je veux former de futurs citoyens pensants et critiques, non des êtres lobotomisés devant un écran; oui, je suis vraisemblablement sur la bonne voie...

Tout a été résumé dans cette phrase de ma supérieure : "Tant que vous êtes dans la règle, et non dans la norme, vous êtes libre".

Soulagement de fin de journée, de début de carrière; reconnaissance pédagogique dont j'avais besoin et qui valide enfin ce que je fais depuis 2002 en tant qu'enseignante : la plaisir par et pour les textes.

Amen (catholic joke).

Je me sens en forme, moi ! Ma tutrice n'a rien trouvé à redire sur la séance que j'ai préparée ! Je suis armée pour cette inspection, mais reste à voir comment ma classe d'agités va réagir...Tout va dépendre d'eux, finalement.

Vivement quand même que tout cela soit fini pour fêter dignement cette titularisation, moment unique de ma carrière !

Grosse erreur de pronostic : ma tutrice ne compte pas lâcher prise. Elle veut "faire une synthèse" avant l'inspection de mercredi. Horaire prévu : mardi après-midi. Super : je vais devoir poireauter une heure, puis m'engueuler poliment avec elle l'heure suivante. Deux heures de perdues, une veille d'inspection pédagogique. Très pertinent et formateur, en l'occurrence.

J'ai voulu lui faire comprendre que cela me paraissait superflu, mais elle a insisté de façon insidieuse alors qu'il n'y aucune loi en la matière. Bref, elle pense sans doute se faire mousser en mettant en avant le fait d'avoir travaillé en symbiose avec un autre membre de l'équipe de Lettres (arf arf arf !) et de s'être investie dans ce rôle pédagogique ("Je préfère te le dire tout de suite, j'ai accepté d'être ta tutrice parce que c'est bien payé" et "Je n'aime pas les gens. Je ne leur parle que quand je n'ai pas le choix" ont été ses premières paroles d'accueil).

Bienvenue dans le joli monde des profs. L'envers du décor.