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Prof et plus si affinités
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Prof et plus si affinités
18 avril 2009

Vertiges

Consigne 56 : vous pouvez inviter un écrivain à votre table, mort ou vivant... Que lui dites-vous ?


rimbaud_sur_une_terrasse_2

_ Arthur… Je peux vous appeler Arthur ? J’ai passé ma vie à utiliser votre nom de famille, mais jamais votre prénom.

Il sourit vaguement. Je prends cela pour un consentement.

_ Honnêtement, je ne sais que vous dire. Vous êtes là, et… Je suis comme une adolescente, un peu dépassée.

_ L’adolescence…, murmure-t-il dans un soupir.

_ Oui, la vôtre a été quelque peu « agitée » d’après ce que l’on sait de vous…

_ Mmm.

Il se roule une cigarette. Je ne fume pas mais j’aurais presque envie de lui voir en rouler une pour moi.

_ Arthur… Je me suis toujours interrogée sur le Harar. Pourquoi ce choix ? Pourquoi l’Afrique ?

Il allume sa cigarette, avale longtemps la fumée et ferme les yeux. Je me sens terriblement cruche. Je décide de me taire. En fait, je ne veux le faire parler que pour découvrir chaque grain de sa voix.

La nuque légèrement en arrière, il recrache lentement la fumée et se met à parler.
J’écoute, hypnotisée. J’aurais envie de me distinguer, qu’il ne me trouve pas pesante ou bécasse, alors que je bois ses paroles.

Je ne sais combien de temps il a parlé. J’admire ses fines mains lorsqu’il garde les yeux fermés. J’ai hésité à sortir mon appareil photo pour le prendre dans cette position, abandonné.

Je souris.

_ Arthur, je sais que vous étiez intéressé par la photographie, là-bas…

Son œil s’allume encore plus. Et là, comble du comble, nous causons photo, Rimbaud et moi ! Je lui parle de mon envie de tout à l’heure de saisir ce moment incroyable. Il ne réagit pas. Je ne passe pas outre. J’aurais peut-être dû.

Je dois lui sembler bien fade. Je sens qu’il ne va pas tarder à partir, une fois que le vin sera fini…

_ Arthur, si je n’avais pas aimé les femmes, je sais que j’aurais cherché un amour masculin vous ressemblant…

_ L’amour…, soupire-t-il dans un souffle.

_ …

Je reprends quand même, quitte à être ridicule –comme on l’est toujours face à ses idoles.

_ Arthur… Vous avez été mon premier amour littéraire. Je ne comprenais grand-chose à douze-treize ans, et c’est la même chose aujourd’hui. Mais vous étiez une lumière insaisissable, un radeau poétique, une porte vers Ailleurs.

Silence.

_ Merci. Merci d’avoir été comme un trésor qui ne semblait appartenir qu’à moi. A vingt-et-un an, je me suis dit une seule chose : « Je ne serai jamais Rimbaud ». Je crois que c’est mieux ainsi.

Il écrase sa cigarette. Se lève doucement. Remet son col en place. Ce geste m’étonne.

Et puis, sans que je m’y attende, il passe sa main dans mes cheveux, et caresse ma joue. Il me regarde droit dans les yeux. Je frissonne. Il sourit. Il est magnifique quand il sourit.

_ Au revoir, Mademoiselle Arthur !

Il s’éloigne en riant, les mains dans les poches.

Je reste longtemps face à la bouteille et à la chaise vides.

New-York, 15 avril 2009, vers 16h30,

face à l’Empire State Building

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