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nvoyé spécial à Bourges
Le
Printemps de Bourges a programmé un rappeur en première partie de
Juliette Gréco, mercredi 18 avril au Palais d'Auron. A priori un pari
osé, sinon risqué. Seulement, l'intéressé se nomme Abd Al Malik. Loin
des provocations machistes et martiales de certains courants du hip
hop, il représente le rappeur idéal. Originaire du quartier de Neuhof,
à Strasbourg, l'ancien chanteur de NAP est passé de la petite
délinquance à la découverte du soufisme et prône un islam sage,
tolérant et lettré.
Cela ne suffit
pas à expliquer sa présence à la même affiche que la muse de
Saint-Germain-des-Prés. Sur les crédits de son album Gibraltar,
couronné du Prix Constantin, on note la participation du pianiste
Gérard Jouannest, compagnon à la scène, comme à la ville, de Gréco. Cet
immense musicien, dont le nom est associé à l'âge d'or de la chanson
française, est logiquement convié à accompagner Abd Al Malik pour un
rappel réclamé par le public.
Celui-ci est très majoritairement venu pour la dame en noir – pas l'ombre d'un "lascar"
au Palais d'Auron. Dans son sweater à capuche, le rappeur séduit sans
peine. Par son élégance, son humour et son verbe. Et une musique
orchestrale qui lorgne ouvertement la soul et surtout le jazz. Son
pianiste n'est autre que Laurent de Wilde, une pointure du genre.
BREL "UN TRÈS GRAND RAPPEUR"
Malicieusement,
le jeune homme a glissé dans son tour de tchatche sa relecture
actualisée de "Ces gens-là", de Jacques Brel, dont Gérard Jouannest fut
également le pianiste et associé. Abd Al Malik n'hésite pas à
ressusciter la gestuelle du chanteur belge, cette façon unique de
raconter une situation, de camper un personnage, "mains en croix, bouche ouverte". Et conclut que le disparu fut "un très grand rappeur"
Pourquoi pas ?
Pour
l'art expressionniste du music-hall, le positionnement du corps face au
micro, Juliette Gréco a forcément quelques décennies d'avance. Et une
présence toujours extraordinaire à 80 ans. Ses mains défient l'espace,
elle peuvent esquisser des courbes féminines (pour "Jolie Môme" de Léo
Ferré) ou retomber comme un coup de trique.
Le piano de Jouannest
et un accordéon suffisent pour habiller un répertoire en or massif. En
interprète scrupuleuse, "Jujube" annonce chaque auteur et chaque titre
de chanson. Est-ce bien nécessaire quand il s'agit de Gainsbourg
("Accordéon", "La Javanaise", "La Chanson de Prévert"), Trénet ("La
Folle Complainte") ou du tandem Brel-Jouannest avec "Bruxelles",
"Mathilde", "La Chanson des vieux amants", le terrible "J'arrive"
(chanté sous un néon blafard et mortuaire) et "Ne me quitte pas" ?
La
rencontre attendue entre elle et Abd Al Malik aura lieu sur "Né quelque
part" de Maxime Le Forestier. Le symbole est fort : une femme et un
homme, deux générations, deux origines (le Sud-Ouest et le Congo). Le
choix de la chanson l'est tout autant : "Est-ce que les gens naissent égaux en droits à l'endroit où ils naissent ?" Bonne question à quatre jours du premier tour de l'élection présidentielle.
Bruno Lesprit |