Boulbanguer : être retourné(e) par une rencontre / croire à nouveau en quelque chose
En ce moment, les profs principaux courent après le temps. C'est la première vague des réorientations, et l'académie réduit à une peau de chagrin nos possibilités. De fait, les PP de seconde sont à cran. La semaine dernière, j'ai même cédé à la colère -ce qui n'est pas mon genre- lors d'une réunion d'urgence sur ces nouveaux délais : le proviseur n'a même pas rugi quand j'ai dit, la voix étranglée : "On nous demande d'accomplir en moins d'une semaine des miracles alors que l'on cherche à voir certains parents depuis huit mois ! Je vais bientôt me faire canoniser et je serai une sainte ! C'est aberrant ! On fait quoi, depuis septembre, selon vous ?"
En bref, tout le monde est à fleur de peau, et ça part à vau-l'eau.
Sauf que. Sauf que je viens d'avoir une maman au téléphone, et qu'elle m'a retournée. Je m'en voulais de ne pas l'avoir appelée avant, et je pensais me faire remonter les bretelles. Et elle commence par : "Vous êtes une femme formidable. Mon fils vous aime beaucoup." Je souris à l'autre bout du fil, de ce fils si discret en cours qui voulait absolument que ce soit moi qui aie sa mère au téléphone, et non mon collègue de sport co PP.
Sauf que j'apprends la situation de la mère, rongée par la culpabilité d'avoir vu son fils partir en seconde générale alors qu'il avait un projet professionnel.
Sauf qu'elle ne pouvait rien faire à ce moment-là pour l'aider : elle a enterré son fils ainé et lutte contre un cancer de la tyrrhoïde. Et qu'à l'époque, en fin de troisième, elle "était sur le billard", comme elle dit. Sa fille, doctorante en droit, s'est occupée de tout.
Sauf que le rectorat a pris le troisième voeu du gamin, le plus simple, par sectorisation, et n'a pas choisi son premier voeu professionnel.
Sauf que la mère est partie en clinique pour soins intensifs pendant des mois. Et qu'elle subit encore de la chimio. Et qu'elle pleurait au téléphone de vouloir "sauver" son petit dernier, avant la date "anniversaire" de la mort de l'ainé. Peut-être même avant de mourir.
Je voudrais vraiment l'aider. Je ferai mon possible, en espérant que la machine administrative ne broie pas cet élève. Je vois sa mère mardi prochain. Elle veut me faire une assiette de gâteaux :"C'est tout ce que je peux vous offrir pour vous remercier, laissez-moi faire ça !" Même si je lui dis que je prône la prudence, qu'on pourrait manger les gâteaux après l'affectation de son fils dans l'école qu'il veut. "Non, madame, vous êtes là pour aider mon fils, et c'est tout ce qui compte. Après, ça passe ou ça casse. Mais je veux vous offrir des gâteaux. La cuisine, c'est tout ce que je peux faire..."
Ce coup de fil m'a redonné l'envie de me battre, et m'a donné l'illusion d'être un peu utile et reconnue. Si cet élève a son école, mon année aura été sauvée. Cela peut paraitre excessif, mais face au marasme restant, je vous assure que cette femme a illuminé ma journée. Plus encore.
Je vous laisse : j'ai une lettre de recommandation à faire.
PS : j'ai aussi pu discuter avec celle qui m'avait "agressée" sur le Coran, fort calmement. Et ça m'a fait du bien. Et je le lui ai dit.