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va bien au-delà d'un visage expressif ou de quelques doigts
préhensiles. Les primatologues trouvent de plus en plus de similitudes
entre l'homme et le chimpanzé, que ce soit dans les attitudes ou dans
les capacités. Et ce dernier nous dépasserait même dans certains
domaines de la mémoire. Un récent article de John Noble Wilford dans le
New York Times revient sur les dernières découvertes exposées
par plus de trois cents scientifiques réunis fin mars au Lincoln Park
Zoo de Chicago pour un congrès intitulé "L'esprit du chimpanzé".
Les ancêtres
des chimpanzés sont issus de la lignée qui s'est séparée de la dernière
branche qui a conduit aux hommes, il y a probablement quatre ou six
millions d'années. Une étude récente montre que malgré de profondes
différences entre les deux espèces, seuls 1,23 % de leurs gènes
séparent l'Homo sapiens du Pan troglodytes, nom savant du chimpanzé.
DES ANIMAUX QUI ONT UNE CULTURE
"Il
y a cinquante ans, quand nous ne savions pratiquement rien des
chimpanzés, nous ne nous serions jamais doutés de la richesse et de la
complexité de la culture des chimpanzés que nous avons découverte",
explique Andrew Whiten, psychologue évolutif à l'université de Saint
Andrews en Ecosse. Les perceptions ont commencé à changer dans les
années 1960, grâce au travail réalisé en Afrique par une Anglaise, Jane
Goodall. Au début, les experts remettaient en question ses articles sur
des chimpanzés utilisant des outils et montrant un comportement social.
Ils rejetaient surtout ses références à la "culture" des chimpanzés,
cette dernière ne pouvant être qu'un attribut humain. "Jane a souffert au départ du rejet des concepts établis, confie Richard Wrangham, anthropologue à Harvard. Aujourd'hui, ce sont ceux qui disent que les chimpanzés n'ont ni émotion ni culture qui sont rejetés."
Ce
consensus, qui n'existait pas il y a encore dix ans, a animé le congrès
du Lincoln Park Zoo, où chacun était venu partager les connaissances
accumulées sur les capacités cognitives de ces animaux. Un des
intervenants, Frans De Waal, de l'Emory University aux Etats-Unis, a
par exemple expliqué comment, en tant qu'animal social, le chimpanzé
avait dû contraindre et adapter son comportement exactement comme les
hommes. D'autres ont fait état d'études récentes relatives aux
capacités du chimpanzé à fabriquer des ustensiles. Jill Pruetz, de
l'Université de l'Iowa, a ainsi décrit 22 exemples de chimpanzés du
Sénégal qui élaborent des lances de bois pour chasser des primates plus
petits pour leur viande. Une équipe d'archéologues dirigés par
l'Espagnol Julio Mercader, de l'université de Calgary, au Canada, a
également révélé avoir trouvé en Côte d'Ivoire des pierres que les
chimpanzés utilisaient il y a 4 300 ans pour ouvrir des fruits secs.
Aujourd'hui, il est courant d'observer souvent les chimpanzés utiliser
une pierre en guise de marteau.
UNE MEILLEURE MÉMOIRE IMMÉDIATE
A
côté du travail d'observation des chimpanzés dans leur habitat naturel,
des chercheurs ont mené des expériences en laboratoire pour révéler
leur intelligence subjacente, ce que les scientifiques nomment leur
"réserve cognitive". Pour tester leur mémoire immédiate, ils
confrontent le singe à un interlocuteur inconnu : l'ordinateur. Les
résultats obtenus par une équipe de l'université de Kyoto au Japon ont
impressionné les scientifiques réunis à Chicago. Le primatologue
Tetsuro Matsuzawa a présenté, en vidéo, le cas d'un jeune chimpanzé
regardant sur un écran clignoter de façon aléatoire des chiffres de 1 à
9, chacun n'apparaissant pas plus d'une seconde, et laissant seulement,
à sa place, un carré blanc. Le chimpanzé a d'abord commencé par appuyer
au hasard sur les carrés blancs mais rapidement, il a fait réapparaître
les chiffres en ordre ascendant : 1, 2, 3, etc.
L'expérience a
été recommencée plusieurs fois avec les chiffres et les carrés à des
places différentes. Le chimpanzé, récompensé chaque fois par de la
nourriture, ne s'est pratiquement jamais trompé et se rappelait chaque
fois où étaient apparus les chiffres. La vidéo montrait également un
homme soumis à la même expérience : non seulement il ne la réussissait
pas, mais il se souvenait rarement de plus d'un ou deux chiffres. "L'homme ne peut pas le faire, assure Tetsuro Matsuzawa. Les chimpanzés sont supérieurs à l'homme dans ce domaine." Pour le scientifique, les premiers hommes ont "perdu
la mémoire immédiate et, en échange, ont appris la symbolisation, et le
langage". "J'appelle cela la théorie de la compensation. Si vous avez
une
faculté particulière, par exemple, une meilleure mémoire immédiate,
alors vous
devez en perdre une autre."
L'IMPORTANCE DE L'APPRENTISSAGE SOCIAL
D'autres
chercheurs ont montré, par des tests avec des miroirs, que comme chez
le dauphin et sans doute chez l'éléphant, il existait une conscience de
soi chez le chimpanzé. Des scientifiques ont également montré que
lorsqu'une clôture les sépare de leur nourriture, les chimpanzés,
pourtant souvent rivaux, savent aussi coopérer les uns avec les autres
pour arriver à leurs fins.
Pour l'anthropologue Richard Wrangham, le défi réside maintenant dans le fait de savoir jusqu'à quel point le comportement et "l'excédent de capacité cognitive"
observé chez les sujets en captivité se retrouvent à l'état naturel. La
réponse semble varier d'une communauté de chimpanzés à l'autre. Selon
les scientifiques, cela démontre le rôle de l'apprentissage social –
acquérir des compétences par imitation – et les réponses différentes
apportées, selon les contextes, dans des cultures indépendantes.
Selon
les chercheurs, les recherches sur les chimpanzés dépassent le seul
intérêt des primatologues. Leur comportement et leur intelligence
pourraient permettre de comprendre les capacités des premiers ancêtres
de l'homme.
Le Monde.fr |