Y croire encore
Ce soir, je suis lasse. Pas vraiment désabusée, non. Lasse.
Aujourd'hui, juste avant 11h, j'ai craqué. J'ai tenu bon devant les élèves, et puis j'ai pleuré avant de faire entrer la classe suivante. J'ai pleuré de rage, d'impuissance. Impression de n'avoir rien apporté à ces gamins aux vies lourdes, aux idées étroites.
Nous travaillions sur un texte de Maupassant, "Rose". Et ça a dérapé, sans trop savoir pourquoi : tout est bon pour eux. J'ai supporté vaillamment un concert de propos racistes, antisémites et homophobes de "ma" seconde. Environ une quinzaine d'élèves auxquels je tentais de répondre point par point, que je voulais ramener à un véritable discours cohérent et réfléchi.
En vain.
Alors je me suis assise, j'ai pris ma tête entre mes mains, et j'ai attendu quelques instants. Le chaos s'est amoindri. J'ai lancé, d'un ton lugubre et la voix serrée : "Vos propos me donnent envie de vomir. Vomir. Ce n'est pas une métaphore."
J'ai tenté de leur faire comprendre mon sentiment d'échec pédagogique après neuf mois de travail ensemble. De leur montrer que non, on ne peut pas lancer de telles phrases sans penser aux conséquences et sans les assumer. De leur dire que le racisme, tout racisme (même celui que j'ai subi quand j'étais adolescente, le racisme anti-blanc, et auquel ils ne veulent croire) est condamné par la loi et que ce n'est pas qu'une opinion. Que je voudrais les sortir de leur prisme, ou plutôt leur montrer qu'il y a des centaines de prismes possibles pour regarder le monde. J'avais la gorge serrée. Ils l'ont senti : quand la sonnerie a retenti, ils n'ont pas osé bouger.
D'un geste vague de la main, j'ai murmuré "Sortez..." Une petite élève toute gentille a trainé volontairement pour être la dernière : "... ça va aller, madame ?"
C'est à ce moment-là qu'une boule de larmes est remontée. J'ai fait un signe et opiné pour qu'elle s'en aille, mais elle a bien compris. J'ai tourné la tête à l'opposé de la porte, et j'ai pleuré.
Il a bien fallu enchainer avec un cours de première. Une heure plus tard, j'étais à la cantine avec des collègues, pleurant encore. Heureusement, j'ai la chance d'être dans un établissement où je peux me permettre cela sans être jugée, au contraire. Ils me soutenaient tous, et tentaient de me faire prendre du recul. Nous sommes impuissants face aux difficultés que nous rencontrons.
Ce soir, je suis lasse. Mais pas découragée. Je continuerai à me battre contre toutes les formes d'intolérance en cours. Mais diable, quelle énergie cela prend...