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Prof et plus si affinités
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Prof et plus si affinités
27 mai 2011

Y croire encore

Ce soir, je suis lasse. Pas vraiment désabusée, non. Lasse.
Aujourd'hui, juste avant 11h, j'ai craqué. J'ai tenu bon devant les élèves, et puis j'ai pleuré avant de faire entrer la classe suivante. J'ai pleuré de rage, d'impuissance. Impression de n'avoir rien apporté à ces gamins aux vies lourdes, aux idées étroites.
Nous travaillions sur un texte de Maupassant, "Rose". Et ça a dérapé, sans trop savoir pourquoi : tout est bon pour eux. J'ai supporté vaillamment un concert de propos racistes, antisémites et homophobes de "ma" seconde. Environ une quinzaine d'élèves auxquels je tentais de répondre point par point, que je voulais ramener à un véritable discours cohérent et réfléchi.
En vain.

racisme1

Alors je me suis assise, j'ai pris ma tête entre mes mains, et j'ai attendu quelques instants. Le chaos s'est amoindri. J'ai lancé, d'un ton lugubre et la voix serrée : "Vos propos me donnent envie de vomir. Vomir. Ce n'est pas une métaphore."
J'ai tenté de leur faire comprendre mon sentiment d'échec pédagogique après neuf mois de travail ensemble. De leur montrer que non, on ne peut pas lancer de telles phrases sans penser aux conséquences et sans les assumer. De leur dire que le racisme, tout racisme (même celui que j'ai subi quand j'étais adolescente, le racisme anti-blanc, et auquel ils ne veulent croire) est condamné par la loi et que ce n'est pas qu'une opinion. Que je voudrais les sortir de leur prisme, ou plutôt leur montrer qu'il y a des centaines de prismes possibles pour regarder le monde. J'avais la gorge serrée. Ils l'ont senti : quand la sonnerie a retenti, ils n'ont pas osé bouger.
D'un geste vague de la main, j'ai murmuré "Sortez..." Une petite élève toute gentille a trainé volontairement pour être la dernière : "... ça va aller, madame ?"
C'est à ce moment-là qu'une boule de larmes est remontée. J'ai fait un signe et opiné pour qu'elle s'en aille, mais elle a bien compris. J'ai tourné la tête à l'opposé de la porte, et j'ai pleuré.
Il a bien fallu enchainer avec un cours de première. Une heure plus tard, j'étais à la cantine avec des collègues, pleurant encore. Heureusement, j'ai la chance d'être dans un établissement où je peux me permettre cela sans être jugée, au contraire. Ils me soutenaient tous, et tentaient de me faire prendre du recul. Nous sommes impuissants face aux difficultés que nous rencontrons.

Ce soir, je suis lasse. Mais pas découragée. Je continuerai à me battre contre toutes les formes d'intolérance en cours. Mais diable, quelle énergie cela prend...

patate_prof

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Commentaires
H
Ton désarroi me touche beaucoup. Quand je suis désemparée face à des situations de classe difficiles ou décevantes, je me dis que l'essentiel est de semer de petites graines qui germeront,dans leur esprit, juste après la classe ou en tous cas, un jour... Nous sommes parfois l'un des derniers remparts contre la bêtise et l'intolérance ... Courage !
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E
Je comprends ce que tu peux ressentir. Ton malaise, réel, s'il a été senti par ce public qui nous déçoit tant parfois, a sans doute eu une valaur pédagogique, parce qu'il n'était pas feint. Je bosse dans un tout autre milieu, tu le sais, et pourtant j'entends moi aussi des remarques racistes et homophobes. Et les valeurs auxquelles j'ai toujours cru sont en voie de disparition chez nos élèves. Tu as de la chance d'avoir des collègues qui te soutiennent. Merci à eux/elles. Dans les établissements "difficiles" il y a en effet souvent plus de solidarité. Tu te bats depuis toujours pour essayer de les faire devenir des adultes responsables, et il en restera sûrement qq chose quand l'effet de groupe aur disparu. Une classe c'est parfois une meute. Allez, plus qu'un mois et demi !
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K
J'avais écrit un long commentaire et puis non...<br /> Juste, ne lâche rien, pour eux, pour ceux toujours plus nombreux qui subissent ce racisme dans leurs collèges, dans leurs lycées.<br /> <br /> Ce n'est vraiment pas ce que nous avions rêvé pour nos enfants.
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A
Je comprends ta lassitude, ta tristesse ; de telles réactions sont d'autant plus douloureuses à recevoir qu'elles viennent de lycéens et qu'on s'inquiète de voir que si près d'endosser des responsabilités d'adultes et de citoyens, ils soient aussi obtus...<br /> Mais tu leur auras donné la possibilité de réfléchir et je suis persuadée que tu sèmes des graines qui germeront, peut-être pas tout de suite, peut-être pas chez tous, mais qui pousseront, c'est sûr... <br /> En te souhaitant un week-end doux et reconstituant !
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L
Il faut se dire que c'est parce qu'on se bat tous les jours dans nos classes face à ce racisme "primaire" qu'il régresse peu à peu... même si le chemin qui reste à parcourir est très long, malheureusement!<br /> Bon courage!
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