Il y a bien longtemps que je n'ai fait une entrée sur mes lectures... Celles que j'envisage, ou celles qui sont achevées. Et comme Ed a lancé une petite requête aux bloggeurs qui la lisent, je me lance ! (Même si je ne crois pas en une écriture féminine...)
Voici donc des lectures d'écrivains femmes qui m'ont marquées (NB : je déteste l'appellation nouvelle d'écrivaine ou de professeure, que vous ne verrez jamais sous ma plume). Mes choix vous paraitront souvent classiques, et je m'en excuse à l'avance...
La première qui me vienne à l'esprit, c'est Marguerite Duras. J'ai eu ma grande époque, depuis le lycée jusqu'à la fin de mes années d'études. Mes deux livres les plus marquants ont été La Douleur et L'Amant. Pour des raisons fort différentes, d'ailleurs. Le premier parce qu'il est la douleur sur papier, et que j'y ai découvert un aspect de sa vie que j'ignorais : la résistance, le lien fort avec celui qui allait devenir plus tard président de la République, son mari déporté... Le second, bien plus connu, pour sa sensualité, ce regard acéré sur l'existence, l'adolescence, la famille. Enfin, un dernier ouvrage m'a bouleversée : La Mer écrite. Il est paru juste après sa mort, que j'avais apprise alors que je passais un stage BAFA. J'étais la seule à être bouleversée, et peu connaissaient Duras. Ce petit livre est composé de photographies, commentées par Duras. C'est la quintessence de son art et de toutes ses années d'écriture, à mon sens. Un écriture sèche, humaine, désarçonnante.
Ensuite, j'hésite entre deux monuments de la littérature, qui m'ont toujours impressionnée fortement par leur intelligence -et le mot est faible. Il s'agit de Marguerite Yourcenar et de Colette.
Assez vite, vers quatorze ans, j'ai voulu lire la série des Claudine, sans trop savoir pourquoi. Enfin, si : Comtesse adorait Colette, je voulais donc à la fois comprendre pourquoi, et me rapprocher d'elle de cette façon, sans doute (la littérature a été toujours été pour moi un moyen de grande proximité intellectuelle avec ceux que j'aime). J'ignorais que j'allais tomber sur une écriture aussi magistrale, à la fois simple et ciselée comme les plus merveilleux cristaux de Bohême... J'ai vite arrêté les Claudine pour passer à d'autres oeuvres telles que La Chatte ou Le Pur et l'impur. Depuis, j'ai investi dans les volumes de la Pléiade, jamais ouverts : ils me font presque peur par leur beauté... Je dis toujours que si je pouvais avoir le dixième du vocabulaire de Colette, je serais ravie, par exemple.
Mais je crois que ce syndrome d'infériorité est encore pire avec Yourcenar. C'est l'une des intellectuelles qui me foudroie par son intelligence. Elle n'avait même pas besoin de parler : son regard brillait autant que son intellect. Son écriture me paraît souvent trop profonde; j'ai l'impression que quelque chose d'important m'échappe et que je ne suis pas capable de la comprendre... J'ai lu son autobiographie, dont la première phrase m'est restée en mémoire : "L'être que j'appelle moi vint au monde le 8 juin 1903..." Mais aussi Anna Soror et Feux. Je n'ai jamais dépassé quelques pages sur Les Mémoires d'Hadrien. J'ai en mémoire un entretien de Pivot avec Yourcenar, qui m'avait saisi et hypnotisée. J'aimerais beaucoup le revoir, d'ailleurs.
Ensuite, même si l'écriture en soi n'est pas excellente, j'avais envie de mettre dans cette liste Taslima Nasreen, lue dans les années 90. Cet écrivain était condamné à mort dans son pays, le Bangladesh, pour avoir défendu le droit des femmes... Livrée à une fatwa systématique, elle s'est exilée dans de nombreux pays, dont la France. Son parcours m'intéressait et j'étais dans mes années de révolte. Du coup, C. m'avait offert son roman à sa sortie : Lajja.
Pour finir, car il y a peu de femmes dans ma bibliothèque, mais c'est l'histoire de nos sociétés qui veut cela, je terminerai avec encore deux "classiques" : Virginia Woolf et Simone de Beauvoir.
Woolf, je l'ai lue progressivement, à partir de la khâgne, je crois, ou un peu avant. Mon souvenir le plus net, c'est Orlando. Et Woolf, c'est comme Yourcenar : trop intelligent pour moi, je pense. J'aime pourtant sa perception du temps et de la solitude... Entre les actes m'avait laissée perplexe, et je crois me souvenir que Mrs Dalloway aussi.
Quant à Simone de Beauvoir, le coup de coeur est venu après celui pour Sartre (il semblerait que pour beaucoup de lecteurs ce soit le cas), alors que j'avais eu en cadeau pour mes dix-huit les Mémoires d'une jeune fille rangée, avec une superbe dédicace de mes professeurs d'espagnol et de dessin de terminale, époux à la ville et parents d'un ami. Je reviens à Beauvoir, sans doute avec l'âge et grâce à mes études. J'avais dû la lire trop jeune, sans doute. Et l'un de ses romans, L'Invitée, n'est quasiment plus lu aujourd'hui. Là, j'ai décidé de me plonger dans Le Deuxième sexe et de peut-être relire ses mémoires, avec la suite, La Force de l'âge.
Ce que je constate surtout dans cette liste réduite, c'est qu'il m'est fort difficile de scinder les oeuvres de la vie de ces auteurs. Je m'explique : je crois qu'elles me fascinent parce qu'elles ont des parcours qui me passionnent, parce que leur courage, leur foi en ce qu'elles faisaient est admirable, parce que j'aurais aimé avoir leur force, leur subtilité, aussi.
Si je reprends tous ces noms, il ne s'agit que d'intellectuelles engagées, qui ont lutté quelle que fusse leur époque, pour s'imposer dans leur art et vivre ce qu'elles avaient à vivre. Duras engagée politiquement, mais aussi pour le droit à l'avortement avec de Beauvoir (pensez au manifeste des 343 salopes); Nasreen avec l'épée de Damoclès au-dessus de sa tête depuis des années; Colette qui divorce, pratique le mime, aime femmes et hommes, fume; Yourcenar, aussi discrète que possible, qui vit son histoire d'amour avec une femme (connue en 1937... jusqu'en 1979, à la mort de celle-ci) et entre la première à l'académie française; Woolf, femme torturée et touchante, investie comme son mari dans la publication des auteurs en qui ils croyaient, et qui se suicide avec des cailloux dans les poches, en s'enfonçant dans l'eau...
Oui, elles me fascinent et j'ai envie de les relire, quitte à lutter contre ma petite intelligence, parce qu'elles le méritent tant, et que je n'aurai jamais fait le tour de leurs mondes...
"Le véritable lieu de naissance est celui où l'on a porté pour la première fois un coup d'oeil intelligent sur soi-même : mes premières patries ont été les livres." Marguerite Yourcenar, Mémoires d'Hadrien