Flutine monte dans son train à cet instant. Derrière les coulisses, il y a les doutes sur la distance qui nous sépare, nos histoires respectives, nos douleurs et nos attentes. Mais j'ai aussi compris la tendresse, les attentions, les mots qui caressent, les mains qui disent, le souffle qui s'arrête et le manque au moindre détour. Alors je vais me plonger dans le travail, en guettant sa voix au bout du fil dans quelques heures. J'ai envie de somnoler. Mais pas seule. Des centaines de copies m'en empêchent. Et son absence aussi. Ah, et depuis début janvier, j'en suis à 5kg de perdus. C'est peu et c'est beaucoup, en regard du chemin qu'il me reste à parcourir.
Cette entrée sera double, elle le mérite : c'est la mille huit centième... J'ai du mal à y croire vraiment, tant cela me paraît imposant. Double car elle contiendra quelques nouvelles fraîches et mystérieuses, et mon défi de la semaine. Oui, je suis magnanime, je sais; ne me remerciez pas.
Premier temps
Le temps de prendre le temps, de lui courir après, d'attendre la fin des cours avec impatience, de rentrer vite vite car une femme est au fond du lit encore chaud, car une femme vous espère et vous sourit à votre arrivée. Le temps du café pris seule le matin alors qu'elle dort profondément, en confiance, pendant que je lui écris des niaiseries pour son réveil. Le temps des craintes que tout s'arrête, que tout ne soit que fumée, qu'elle veuille faire machine arrière... Le temps des regards qui en disent long, en plein silence délicieux. Le temps qui m'appartient. Le temps qui nous appartient. Jusqu'à demain matin tôt. Pour une fois. Le temps où mon visage sourit, beaucoup, vraiment. Mes amies me disent que l'amour me va bien. A qui n'irait-il pas ? Le temps de rêver au prochain rendez-vous... Le temps de me sentir belle, en travaillant mon corps.
Deuxième temps
Celui de l'écriture. Ce que j'écris gagne en tendresse sans doute, en douceur. Le défi de cette semaine en est le témoignage, je crois. La consigne portait sur le papier, et devait contenir cinq noms d'oiseaux et quatre onomatopées.
Voici ma participation, intitulée "Tous mes papiers" :
Sur mes papiers
virtuels, j’écris des mots de nuit, des mots d’orage, des mots de pluie.
Sur mes papiers de
cœur, il y a des hirondelles, du miel, des odeurs de sapin, quelques grammes de
cannelle et un grain de poivre. Ah, l’aigreur du piment…
Sur mes papiers calque,
je dessine les contours de mes vides, comme un aigle dans le ciel.
Sur mes papiers buvard,
j’attends que tout s’absorbe, aussi patiente que la buse le long de la route. Han,
les taches restent.
Sur mes papiers à
bonbons colorés, j’écris le vol rapide du colibri, les ailes du papillon, le
rayon de lune ou de soleil, et pffft ! tout s’envole sous l’empressement
du vent à jouer avec eux.
Sur mes papiers
chiffon, j’essuie mes larmes, de joie ou de chagrin ; j’arbore certaines
fleurs entre deux fils ténus ; je caresse l’épais feuillet et lui fais de
l’œil, telle une pie prête à voler…
Mais j’endors mes
plumes, les range au fond des trousses et des pots à crayons. Hum.
Je vais vers elle Au milieu de la foule Anonyme et éteinte Je souris aux autres Mais surtout à elle Et à moi-même Nos yeux se croisent Nos mains se causent A distance Les rires sont là Les silences Doux En disent long Je m'épanouis A l'ombre de Ses paupières
Allez, je vais laisser le planeur surfer dans les airs, et tâcher de reprendre pied... Au programme du jour : m'occuper du linge, de moi, des courses chez Karouf (wouèèèèh), un rdv rapide pour rendre des affaires, un cours particulier, un rdv avec Flutine... Il faudrait aussi que je corrige un paquet de copies, car je ne vais pas sortir la tête des corrections pendant trois semaines. Gloups. A part ça, grâce à Peps, j'ai investi dans des prises télécommandées avec variateur, et je trouve cela génial. J'allume mes lampes à distance, sans avoir besoin de sortir du lit, par exemple. Non pas qu'il s'agisse d'être fainéante, mais le côté pratique me plaît beaucoup (surtout quand je lis).
Je ne sais que dire d'autre... J'ai envie de garder ma joie pour moi, mais aussi de l'étaler. Je suis entre deux eaux, entre de multiples sentiments, et je n'ai pas non plus envie de les analyser. Juste les vivre. Juste vivre.
Me voici enfin de retour sur le net... Mes fidèles lecteurs, parfois amis, se sont inquiétés de mon silence radio. Oui, j'ai déconnecté pendant presque trois jours. Il faut dire que j'avais commencé avec les coups de fil nocturnes, et les échanges diurnes dès lundi dernier. Par où débuter l'histoire, sans la déflorer ? Flutine et moi avons de nombreuses choses en commun, dont un certain parcours scolaire, la musique, les références culturelles. Mais outre cela, qu'en serait-il une fois que nous serions en face l'une de l'autre ? Un peu folle, je décide de lui proposer de débarquer pour le we chez elle, à environ 500km d'ici... On hésite -peur d'être déçues-, on parle, on en meurt d'envie : je prends le volant. La découverte est étrange dans un premier temps. On s'habitue aux regards, on cherche la trace de l'autre dans les rares photos que nous avions échangées. Et puis la tendresse obsédante émerge, hors de contrôle. Le we entier se passe dans la douceur, la fougue, les rires, les échanges, les longs regards, la musique, l'anglais, des dinettes en guise de repas... Le détail de tout cela nous appartient. Rentrée lundi soir tard, je décide de m'occuper de moi, de ne plus être qu'au service de moi-même.
Depuis, j'ai raté une heure de cours en pensant commencer à 10h au lieu de 9h; je souris bêtement; j'ai l'air fatigué mais je suis heureuse. Je profite totalement de cet état de grâce, car je sais que les premiers moments sont les plus merveilleux.
Je revois Flutine très vite. La vie est si courte, et ce type de relation si rare...
Là, je vais ranger l'appartement un peu négligé, nettoyer, installer de nouvelles prises électriques, regarder la pluie tomber sans devenir mélancolique, puis faire une sieste. Je m'endormirai en souriant, comme c'est le cas depuis plus d'une semaine...
PS : Ah, et puis l'amour motive : j'ai perdu presque 4kg en quinze jours.
Je suis vivante, j'avais fugué, oui, et pas mal de choses se sont passées... Je suis rentrée hier soir assez tard et j'ai trouvé tous vos messages inquiets. Je développerai dès que possible, car le devoir m'appelle... La réalité revient au grand galop. Snif.
Parfois, la vie est surprenante. Voilà quatre jours et trois nuits que je communique avec une femme que je baptise Flutine ici. Nous ne nous sommes pas encore vues, mais nous savons en gros à quoi nous ressemblons. Les échanges durent et sont de plus en plus troublants, intimes. La connivence intellectuelle est parfaite pour l'instant... On se lit des textes au téléphone, en en parlant ensuite pendant des heures... Je sens en écrivant ceci que certains lecteurs pourraient y voir une aventure glauque. Pourtant, très peu de femmes parviennent à me troubler. Flutine y parvient, et je me laisse faire. Je ne sais où cela me mènera, mais le principe même de l'aventure, au sens étymologique, est de se laisser porter par ce qui peut arriver...
Sculpture de Camille Claudel
En attendant, je passe mes nuits au téléphone sans voir le temps passer, mais les journées doivent contenir une sieste pour résister à la douce fatigue qui m'enveloppe.
A part ça, routine quotidienne au lycée : les STG sont toujours aussi déprimants et récalcitrants face au travail; il y a eu des vols pendant les TPE de ES; les secondes sont léthargiques; les réunions s'accumulent.
Je corrige lentement mes copies, comme d'habitude. La neige a fondu, le temps est au redoux, et je vais devoir rapporter avant dimanche, chez monamikea, le sapin de Noyel à recycler.
Allez, une petite chanson pour terminer, qui me fait penser à Virginia Woolf et Victoria Sackville-West...
Il y a des jours de rencontres, petites ou grandes. Hier, une longue conversation téléphonique. Aujourd'hui, un retour en arrière en retrouvant une ancienne "camarade de classe" qui me haïssait, et qui est devenue collègue. La vie est étrange, parfois. Et puis toujours des rires avec mes copines de lettres. En parlant de lettres, j'en ai trouvé une à l'écriture nouvelle en revenant du lycée. Une lettre inattendue et pourtant espérée.
Il y a des jours où l'espoir emballé initialement dans des mots, prend la forme du réel...
Il y a bien longtemps que je n'ai pas causé lektur... Cet après-midi, j'ai relu en diagonale Iphigénie de Racine et en son entier Maison de poupée d'Ibsen. Du théâtre, donc. Racine, c'est, pour moi, l'un des plus grands poètes. J'ai demandé à mes ES de lire cette tragédie du sacrifice, dans laquelle, finalement, le rôle tragique n'est pas forcément celui de l'héroïne éponyme, mais plutôt celui de la servante Eriphile, jalouse, amoureuse, invisible aux yeux de tous, et qui n'existe que par ce qu'elle voit... Sinon, LA pièce à lire absolument, c'est Phèdre, bien entendu. Je m'en délecte toujours. On touche à la perfection, à mon sens...
Quant à Ibsen, je ne l'avais jamais lu, je l'avoue. Et j'ai dévoré sans pause cette pièce qui se révèle féministe avant l'heure, simple d'accès et fine, dès le début.
A part ça, j'ai enfin terminé Fuck America d'Hilsenrath. Etrangement, là aussi, c'est la fin du roman qui fait sens. On avait tourné autour, par allusion, et la Shoah, l'Holocauste, on se les prend dans la figure dans les derniers chapitres. L'amertume, l'indifférence, le prosaïsme s'expliquent mieux et se comprennent. Ce roman est le plus autobiographique de l'auteur.
J'hésite sur mes lectures prochaines. En attendant, voici un titre qui me plait beaucoup, d'un chanteur au carrefour de beaucoup de styles très sixties et seventies : Arnaud Fleurent-Didier, "France culture".