Indigestion
Je n'ai pas eu le choix ce matin : j'ai dû faire mes courses alimentaires courantes, alors que les supermarchés sont blindés de gens qui veulent soit faire plaisir, soit se faire mousser, soit s'obligent à faire la fête et surtout dépensent beaucoup. Bref, il y avait du monde. J'ai crû qu'en arrivant à l'ouverture, cela serait une bonne idée. Las, il n'y avait même plus de caddy disponible sur le parking.
J'ai parcouru les rayons en automate, évitant de penser comme j'aurais pu le faire, au repas simple qui nous aurait plu, à Flûtine et moi. Je vais au contraire tâcher de me purger sur le plan alimentaire : fromage blanc, son d'avoine, endives, fruits. Cela ne sera pas si évident de s'y astreindre : j'aurais envie de "me faire plaisir" en mangeant ce qui me plaît pour "compenser". Puisque je n'ai plus à plaire, pourquoi faire des efforts ? Mais je tiens trop à ne pas sombrer, alors je vais tenter de prendre soin de moi, quand même.
Mon image de moi est déplorable à l'instant où je vous écris. Je me sens terriblement non attirante, pas sexy, pas intéressante. Je me demande si je vais retourner chez le coiffeur, ou bien laisser pousser mes cheveux de façon hirsute : je ne me sens pas féminine. Le fait que Flûtine soit attirée par Mamie Nova a de quoi me perturber, voire m'anéantir.
Je sais aussi que j'aurai beaucoup de mal à me sentir attirée par une autre car je n'aurai de cesse de comparer ces femmes à celle que j'ai en tête, pétillante, jolie, aux yeux indicibles, au corps harmonieux.
Je n'ai pas le corps harmonieux. Pas comme je le voudrais. Pas comme Flûtine l'aurait voulu, sans doute.
Elle veut systématiquement ce qu'elle n'a pas. Une éternelle insatisfaite. Et moi je suis une éternelle contemplative. J'ai vécu plus de deuils dans ma vie que de mariages et de naissances réunis. Je sais la perte. La douleur qui anéantit. L'impuissance face à la mort. Alors je crois savoir le goût des choses simples, leur valeur incroyable, et je m'émerveillais de connaître l'amour, de le sentir aussi fort... Et je croyais que l'amour pouvait suffire, qu'il pouvait tout résoudre, dépasser tous les problèmes. Comme dans les livres ou les comédies romantiques.
Je sais aussi la vie de couple, qui contient des risques d'encroûtement, certes, mais qui est un espace de liberté et de confiance pour moi. Pour Flûtine, c'est une prison et la monotonie assurée.
Ma colère et ma frustration ne s'amoindrissent pas. Je vis mes premiers jours de vacances dans les angoisses (vous savez, cette boule au niveau du plexus qui empêche parfois de respirer naturellement ?). Depuis que j'étais avec Flûtine, je n'avais pas fait de rechute dépressive, même quand j'ai loupé l'agreg. Je lutte pour ne pas en faire une, là...