Avant de vous raconter mon épreuve de leçon, ze cherry on ze cake, laissez-moi débuter par mes frasques avec la SNCF.
Ce matin, réveil à 6h. Pti déj, préparation, maquillage, et le reste; encas et sandwiches (pain complet, mâche, viande des grisons, chèvre frais, excusez du peu); Robbe-Grillet et Rimbaud glissés dans ma sacoche pour y jeter un oeil pendant le trajet. Départ de la maison à 7h05. Mais comme hier, je vois au loin le train me passer sous les yeux. Pas grave, me dis-je, il y en a toutes les 10mn en heure de pointe, et je suis convoquée à 8h15 donc c'est large.
Mais c'était sans compter sur l'imagination débordante de la SNCF en ces jours de concours : le prochain train était annoncé pour... 7h36. A cause d'une avarie technique, les autres avaient été annulés. Petite panique : j'appelle Flûtine pour qu'elle prévienne le lycée.
Pour faire court, sachez que j'ai eu le train prévu, que j'ai trotté ensuite dans le métro et que je suis arrivée au lycée Buffon à 8h13 exactement. Deux minutes avant l'appel et le tirage des sujets. Heureusement que je suis de nature solide, quand même.
Et nous voilà au moment fatidique : le tirage au sort. La leçon, je le rappelle, est une épreuve physique : six heures de préparation, et 50mn de passage en tout.
Je discute avec un agrégatif qui est dans les mêmes attentes que moi (et beaucoup d'entre nous) : pas Rimbaud, pitié, pas lui; le film de Melville siouplé, pitié; et Robbe-Grillet en deuxième position dans ce tiercé : moindre mal.
On me propose deux petits papiers. Je prends celui de gauche sur une impulsion. Je l'ouvre.
Effroi : "Poésies 1870-1871. Poésies 1872. Règles et dérèglements." Rimbaud, donc. Je redescends, digne, en salle de préparation. Je commence à réfléchir. Je demande à mes camarades leur douleur rimbaldienne : l'enfance, l'érotisme. Je ne m'en sors pas si mal.
Je n'ai rien laché pendant les six heures. J'avais mal au ventre sur la fin. Des sortes de crampes. Un gros glouglou récurrent. J'ai avalé deux tic tac menthe forte, histoire de faire allusion face à ses aigreurs d'estomac.
Mais j'avais sous les yeux onze pages quasiment entièrement rédigées, un plan qui me paraissait potable, et de nombreuses références. J'ai bien fait attention de ne pas m'appuyer sur des textes hors corpus (c'était l'un des pièges).
Je suis encore allée un peu trop vite (33mn au lieu de 40). Mais j'étais fluide, claire et je n'avais pas fumé les pages de mon Rimbaud pour élaborer un plan fumeux.
Questions du jour en entretien : connaissez-vous les interprétations des spécialistes sur le titre "L'Orgie parisienne" ? quel poète a repris la voie ouverte par Rimbaud si lui a repris celle ouverte par Baudelaire ? pourriez-vous expliquer "Racine - après lui, le jeu moisit" ? quelle différence faites-vous entre norme, référence et règle ?
J'avais les réponses à toutes ces questions, sauf la première. Et puis j'en ai oublié, vous imaginez bien. Je suis sortie, un brin branlante, quelques secondes. Sourire aux lèvres. Je l'avais fait. Ne pas sombrer devant Rimbaud. Ne pas me laisser écraser. Etablir un plan d'étude, comme un plan d'attaque. Avoir des choses à dire. Sortir la tête haute de ces trois épreuves.
Je l'ai fait.
Et si je n'ai pas l'agreg, je ne regretterai rien concernant mes prestations. Je suis allée au bout de mes capacités face à ces sujets. Je n'aurais pas pu faire mieux.
Ensuite, comme chaque jour, j'ai appelé Flûtine et Tinette. Envoyé des sms aux plus proches, pour tout clôturer dignement. J'ai pris le métro, en ayant soudain faim. Flûtine n'étant pas encore rentrée à la maison, j'ai décidé de me balader du côté de Saint-Lazare. Sur le trajet, j'ai cherché sur Google le nom de la femme qui m'avait interrogée en leçon : impression de la connaitre. Vue au capes ou ailleurs ? Ah, ben c'est l'inspectrice régionale de lettres. Gloups.
Sur St Laz, envie d'un moka chocolat blanc et d'une tranche de cake au thé et aux framboises dans une enseigne bien connue. Il y avait du bruit, je crois, mais je n'entendais quasiment rien. J'étais encore dans ma bulle. Sept heures de réflexion d'affilée, c'est dur d'en sortir.
Je vous jure, monsieur l'agent, qu'il y avait un cake dans cette assiette !
Puis direction la Keufna, pour voir : je ne suis pas sortie de ma caverne depuis un mois. J'ai zieuté un boitier Nikon qui me tente, acheté un CD d'Otis Redding par simple envie depuis quelques jours (je l'avais en cassette audio il y a des décennies), et trois dvd : des classiques de la collection René Château (Nana, Les Liaisons dangereuses, Boule de suif).
Et là, pour tout vous dire, je sens la fatigue tomber progressivement. Impression d'avoir -enfin ?- des cernes. Flûtine ne va pas tarder. Je crois que je suis bien. Je peux attendre les résultats sereine. J'ai joué le jeu. Mais il va quand même falloir que je me repose un peu, je crois...