Rebilloter : se remettre en cause quand on a la tête sur le billot.
Je pensais que cette histoire de dépression post agreg était exagérée. Mais si je dois être honnête, je crois bien en passer par là. J'ai peu envie de causer, je m'oblige à sortir et à me préparer, je fais la sieste à cause d'une fatigue lancinante, je ne parviens pas à travailler pour le lycée.
Je tente de ne pas voir cette non-admission comme un échec, et pourtant. Pourtant ce ratage fait remonter à la surface de nombreux souvenirs et des sentiments sombres du passé.
Les humiliations quotidiennes de la classe prépa pendant deux ans. La copie de spécialité philo sur laquelle le prof avait noté : "Vous feriez mieux de planter des poireaux que de faire de la philosophie".
Ma soutenance de mémoire avec une peau de vache qui commence l'entretien par "C'est de vous ?" avec un mouvement méprisant de menton vers mon travail, et qui achève la soutenance par :
_ Vous envisagez quoi, après ?
_ Passer le capes, et peut-être l'agrégation.
_ Le capes à la rigueur, et ça sera difficile. L'agrégation, oubliez.
Le Viking, mon seul ex masculin, qui m'avait lancé, alors que je lui annonçais que je passais en khâgne : "Avec tes notes ? Ils te laissent passer avec de telles notes ?"
Tous les collègues et chefs d'établissement qui me regardaient de haut ou ne me voyaient pas car j'étais "seulement" TZR, et qui ignoraient pour beaucoup que le T signifie "titulaire".
C., qui pensait que je l'avais trahie en faisant une khâgne de philo plutôt que de lettres.
J'en oublie sans doute. Et puis injustement je ne mentionne pas tous ceux qui ont crû ou croient en moi. Leurs mots se gravent moins en mon esprit que les reproches et les humiliations des autres.
Alors j'aurais voulu l'avoir, cette agrégation, juste pour prouver une fois que je pouvais viser l'excellence intellectuelle. Réussir brillamment. (J'ai décroché le capes dans des conditions équivalentes, alors que j'étais à plein temps, mais vraiment sans "briller" : je suis arrivée ric rac en bas de la liste des admis)
J'appréhende beaucoup la reprise au lycée, de fait. Dire et redire "Non, je ne l'ai pas eue". Sans rentrer dans les détails, sans chercher à me justifier.
Bon sang, j'ai beau savoir au fond de moi que je vais sans doute repiquer une année, je n'ai pour l'instant aucune énergie, aucune motivation réelle, aucune foi !
J'ai juste envie de repartir sur les chemins, d'avoir de véritables vacances avant de reprendre, d'avoir une maison avec un jardin, Flûtine près de moi tout le temps.