J'ai l'âme slave
Je lis actuellement Anna Akhmatova, que je ne connaissais pas avant l'agrégation, je le reconnais. Sa vie à elle seule est déjà une aventure, une douleur, à la mesure d'autres auteurs russes qui ont subi les régimes totalitaires bien connus de ce pays. Quant à son écriture, elle est très... russe. Je ne sais comment dire cela autrement. J'ai toujours eu du mal avec les romans de Dostoievski ou les pièces de Tchekhov mais je reconnais l'aspect torturé, l'ambiance pesante, les silences, la cruauté, la beauté qui se mêlent dans ces pages. Akhmatova, c'est pareil. C'est très russe. Et le quart de Polonaise que je suis tente (comme si nous étions encore à l'époque des théories génétiques fumeuses : comment le sang pourrait-il transmettre une culture ? Pfff, n'importe quoi, moi !) de s'y plonger.
D'autant que ces derniers jours, je ne me sens pas au mieux de ma forme psychologique. Ce matin, j'ai insulté Conforama et tous ses saints en effectuant le montage hasardeux d'un meuble... Car j'essaye d'améliorer mon quotidien et ma santé mentale en réaménageant, dans la mesure de mes possibilités, certaines parties de mon appartement. Je pleure aussi facilement. Je m'endors en lisant l'après-midi. J'étouffe.
Je n'ai qu'une envie : souffler. Etre dans les bras de Flûtine, en silence. Tant de mots, parfois, m'épuisent. Les mots des livres du programme, les citations à apprendre, mes propres mots en cours, la répétition, les mots vains, les discussions plates, les mots inutiles de la plupart de mes cours de fac, les mots vides des mails commerciaux, et tous les autres.
Et pourtant. Pourtant il est bon se s'y lover dans les transports, en oubliant l'agitation ambiante. J'ai fait cela hier avec Akhmatova. Une sorte de bulle, un espace feutré offert à moi, même si elle dit la souffrance de la solitude, de la censure, de la violence.
Je lutte contre mes anciens démons, ceux que certains ont lu ici parfois -souvent. L'image de soi sur un plan intellectuel est beaucoup au centre de mes tourments. J'ai beau savoir que je ne dois rien espérer de l'agrégation, que je ne dois pas en attendre un changement quelconque, j'y accorde bien plus d'importance que je n'aurais cru.
J'ai, pendant des années, chercher à me tirer une balle dans le pied pour que ce que je suis corresponde à ce que je crois être. C'est-à-dire une fille banale, pas bien brillante, besogneuse mais pas une lumière.
Cependant, de façon paradoxale, je n'arborais comme seule valeur, comme seule qualité, que ma culture. Forcément, le concours me ramène au point zéro : je ne sais pas grand-chose. Tinette me disait il y a peu de temps que passer l'agrégation dans ces conditions et à mon âge, c'était l'équivalent d'une psychanalyse. Je confirme que je suis retournée comme une crêpe, et bien plus chamboulée que prévu (l'avais-je même prévu ?).
Alors imaginez mon état actuel, face aux pronostics de l'écrit... Scenarii divers et variés :
1) Je ne suis pas admissible.
Je n'aurai pas assez de recul pour me dire que ce n'est pas bien grave, que "c'est déjà un honneur que d'être nominée", une belle performance, une riche expérience, blablabla. Car il y aura le regard de Flûtine, celui de Tinette, celui de Comtesse, celui d'Asa, celui de et de et de (et le vôtre !)... En tout cas, le regard que je leur/vous imagine. Et je me conforterai dans ce que j'ai toujours cru : ne pas être bien douée.
2) Je suis admissible mais je ne décroche pas l'agreg.
Encore pire, peut-être. Regret de ne pas avoir saisi ma chance, surtout avec un sujet de didactique taillé sur mesure (ça n'arrive pas deux années de suite). La "place du con", comme en sport, quand on est au pied du podium, quatrième. La honte d'avoir échoué si près. La gêne de mon entourage sans doute. La réjouissance de certains collègues jaloux, qui eux aussi se sont plantés de la même façon. Ma crainte d'avoir fait exprès de rater l'oral.
3) Je suis admissible puis admise.
Je penserai qu'il s'agit d'une erreur. Le niveau était vraiment bas, cette année. Et puis, une fois que j'aurais admis le fait que oui, je suis agrégée, il faudra que je m'adapte à ce nouveau moi qui accepte de réussir, même dans des conditions peu évidentes (plein temps, formation pas extraordinaire).
Tout est là, en fait : j'ai tellement changé en un an, qu'il s'agisse du plan physique ou mental, que je suis perdue. Je ne me reconnais plus vraiment. Les spectres refont surface sans doute parce que je ressens une fatigue de coureuse de fond, que l'échéance des résultats approche, et puis, allez savoir à quoi tout cela tient. Des idées ?