Un voeu, un seul
Comme j'ai écrit ce défi jeudi, j'en programme sa diffusion pour samedi matin... Le thème portait sur une bougie qui fond... Voici mon texte. Son titre : "L'ultime voeu".
J’allais avoir dix-huit
ans. Le bel âge, celui que l’on envie peut-être en vieillissant. Je n’ai
pourtant jamais trouvé, à l’instar de Paul Nizan, que la jeunesse était un
cadeau.
J’allais avoir dix-huit
ans, et aucune envie de les fêter. Ma mère y tenait, parce que mon père ne
voulait pas me les gâcher. Il y aurait vu le signe que sa maladie m’empêchait
d’être heureuse, ou quelque chose de cet ordre-là.
Mes parents –mais seule
ma mère me l’a dit en leurs deux noms- allaient donc m’offrir une fête. Un
repas. Je pouvais inviter qui je voulais. Comme elle travaillait en journée
dans un commerce des Champs-Elysées, et en soirée dans un restaurant, tout se
passerait en ce lieu : je ne voulais pas faire dépenser trop d’argent pour
cet anniversaire au goût déjà amer.
Nous étions une
vingtaine, je crois. Si je regarde les photos, la première pensée qui me vienne
à l’esprit, c’est que presque plus aucun d’entre eux n’est près de moi. Tous ont
disparu, pour une raison ou pour une autre. C’était pourtant ma sphère amicale,
mon roc, les gens qui m’empêchaient de sombrer cette année-là dans la
déprime ; ceux qui m’avaient soutenue pour passer le Bac, et
m’encourageaient encore pour la Prépa. Pas un seul n’a disparu du socle de ma mémoire.
Je pourrais encore pleurer d’en avoir perdu certains.
J’allais avoir dix-huit
ans. Je souris sur les photos, pour faire bonne figure. Je me trouve pâle, et
un peu fermée. Il paraît que j’étais jolie.
J’allais avoir dix-huit
ans, un âge que l’on fête. Mon père était à quelques rues de là, dans une
chambre d’hôpital.
Une photographie me
rappelle qu’il y a eu un gâteau. J’en ignore la saveur. Je serais bien
incapable de dire aujourd’hui à quoi il était. Mais ma mère, en l’apportant à
bout de bras, retenait ses larmes. Elle aussi, elle aurait voulu qu’il fût
porté à quatre mains. Cette image-là, je l’ai gravée.
J’ai vécu ce moment
comme au ralenti. Tous les visages tournés vers moi, sachant tous ce qui
rendait mon regard triste –pour ceux qui savaient voir.
On m’a demandé de faire
un vœu, avant de souffler mes bougies.
J’y ai crû.
J’ai fait un vœu. Et
j’ai soufflé, comme s’il y allait de ma vie.
Une semaine plus tard,
jour pour jour, mon père mourait.
Je n’ai plus jamais
voulu de bougies sur mes rares gâteaux d’anniversaire.